Homélie pour les obsèques de Matis Canavese et Stephan Hertier
Homélie pour les obsèques
de Matis Canavese et Stephan Hertier
Cathédrale de Monaco
8 septembre 2021
Abbé Christian Venard
Aumônier de la Force Publique de Monaco
Ce matin, frères et sœurs, chers amis, dans cette cathédrale, face aux deux cercueils de nos camarades, n’est-ce pas un sentiment d’impuissance, ou même d’absurdité qui cherche à dominer nos esprits et nos âmes ? Comment ?
Deux jeunes hommes, l’un à l’orée de sa vie d’adulte, l’autre en pleine maturité, perdent la vie, alors qu’ils randonnaient, tranquillement, en moto avec deux autres de leurs camarades, Loïc et Jean-Marc, ici présents parmi nous aujourd’hui ? Cela a-t-il un sens ? Comment ?
Deux militaires, à la vocation bien ancrée dans le secours et le service des autres au sein d’un corps de sapeur-pompier se retrouvent, quel terrible paradoxe, victimes d’un accident de la route, situation où tant de fois, ils ont, eux, porté secours à autrui ?
Et que dire de ces mille et une questions qui taraudent nos esprits depuis des jours : et s’ils étaient partis un quart d’heure plus tard ou plus tôt ? Et s’ils avaient choisi un autre itinéraire ? S’ils avaient modifié l’ordre dans lequel ils roulaient ? Etc. etc. Oui, humainement, un écrasant et violent sentiment d’absurdité s’appesantit sur nous.
Dans le passage de l’Évangile que nous venons d’entendre, l’absurde aussi peut apparaître. Voilà d’abord un centurion romain… un centurion c’est-à-dire l’équivalent d’un capitaine d’une armée d’occupation qui va trouver un Juif pour le supplier de guérir son serviteur. Imagine-t-on en France, en 1940, un officier allemand aller demander de l’aide pour un de ses hommes blessé ?
Cette situation a déjà quelque chose d’étonnant. Mais qui plus est, à la réponse positive de Jésus :
« Je vais aller moi-même le guérir. »
Le voilà qui répond : « Seigneur, je ne suis pas digne que tu entres sous mon toit, mais dis seulement une parole et mon serviteur sera guéri. »
Y-a-t-il une réponse plus absurde que celle-là : dire à celui que l’on vient quérir de venir guérir, de ne pas bouger et de se contenter de quelques paroles ?
J’imagine que des spectateurs de cette scène à l’époque ont dû se faire cette réflexion : mais il est fou ! le maître vient de lui dire qu’il va venir chez lui et le voilà, lui, qui refuse, se contentant que Jésus dise une parole…
Oui cette situation est absurde, elle aussi, et d’ailleurs, le centurion romain voit bien qu’il lui faut donner une explication, peut-être moins destinée à ce Jésus en qui il a déjà mis sa confiance, qu’à ceux qui l’entourent. Cette explication nous émeut particulièrement en ce jour, parce que c’est celle d’un militaire, comme furent militaires Matis et Stephan, avec cet état d’esprit plein de générosité, de rigueur : « Moi-même qui suis soumis à une autorité, j’ai des soldats sous mes ordres ; à l’un, je dis : “Va”, et il va ; à un autre : “Viens”, et il vient, et à mon esclave : “Fais ceci”, et il le fait. »
Le Centurion reconnaît d’abord avec humilité qu’il est lui aussi soumis à une autorité – comme tout militaire, mais aussi sans doute, comme chacun d’entre nous ici - ; pour autant, il assume ses responsabilités, sa capacité à intervenir, à donner des ordres, à faire bouger les choses comme l’on dit. Cette parole forte, il la remet entre les mains de quelqu’un dont il estime, lui militaire d’une force d’occupation, qu’il est plus « puissant » que lui, qu’il est une « autorité » supérieure.
Comme nous sommes loin d’un autre dialogue avec un autre romain, un certain Pilate, au moment de la Passion de ce même Jésus. Pilate, rempli d’orgueil, qui se croit lui-même source de son pouvoir. Pilate attiré par la personnalité de ce Jésus, intrigué et inquiet, mais qui préfère jouer avec les mots et se moquer « Qu’est-ce que la vérité ? ».
Chères familles de Matis et Stephan, chers amis, laissons-nous toucher par l’attitude de ce Centurion romain, un homme fort, un vrai militaire viril et ferme, mais qui, devant la maladie de son serviteur, se fait humble, acquiesce du fond de son être, de sa conscience à ce qu’il pressent sans pouvoir le formuler : cet homme Jésus, devant lui, est le Maître de la Vie, la Source, le Chemin, la Vérité. Dans la déréliction, dans le désarroi et la peine, ce que nous propose la Foi, cette foi du centurion qui fait l’admiration de Jésus (« Amen, je vous le déclare, chez personne en Israël, je n’ai trouvé une telle foi. ») ce ne sont pas tant de belles paroles, des réflexions philosophiques ou des pensées géniales, c’est une rencontre. Une rencontre avec Celui qui a vécu notre vie d’homme alors qu’il est Dieu, celui qui est passé par la mort, alors qu’il est l’Auteur de la vie, ce Jésus crucifié certes, mais désormais ressuscité, le Vivant pour l’éternité !
Alors, toutes ces questions qui nous tourmentent, toutes ces interrogations, toute cette apparente absurdité peuvent bien, et c’est tellement humain, frapper nos esprits et nos âmes, mais comme le Centurion, du fond de notre cœur, nous pressentons, devant Matis et Stefan que la mort n’aura pas le dernier mot. Du fond de notre être, un autre Être, l’Esprit Saint, pousse des gémissements ineffables, des prières informulées : « Oui, Seigneur Jésus, je ne comprends rien à ce qui se passe. Oui Seigneur Jésus toute une partie de moi est dans la révolte et l’accablement, mais oui, malgré tout Seigneur Jésus, je pressens, je sais, je veux croire, qu’auprès de Toi se trouve déjà une place pour ceux que nous avons aimés tant et tant sur cette terre. Tu n’as qu’une seule parole à dire et ils seront guéris de tout ce qui a pu ternir leur vie en ce monde. Tu n’as qu’une parole à prononcer, Toi le Verbe de Dieu, et ils seront désormais avec Toi en paradis, comme tu l’as promis un jour au Bon Larron sur la Croix. Ô Jésus, en ce jour, 8 septembre, où ta sainte Église fête la Nativité de ta maman la Vierge Marie, notre mère, Tu ne peux pas ne pas exaucer nos prières : à Stephan et Matis accorde la paix et la joie auprès de Toi, et à nous qui cheminons encore dans les peines et les douleurs, accorde, nous T’en supplions, un peu de cette foi, de cette confiance que nous venons d’admirer, comme Toi, chez ce centurion romain. Amen.