Publié le 30 novembre 2021

Les escapades de Jean-Pierre - la Chartreuse de la Verne

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Le monastère Notre-Dame de Clémence de la Verne est situé dans l’arrière pays de Toulon, à douze kilomètres du village de Collobrières. Il est  rattaché au diocèse de Toulon-Fréjus. Construit sur un promontoire rocheux avec des remparts élevés qui permettaient d’éviter les intrusions de l’extérieur, il a la forme d’un rectangle de 155 mètres de long sur 85 mètres de large et domine un paysage s’étendant à perte de vue, entouré d’immenses forêts d’arbousiers, de chênes-lièges et de châtaigniers. Du parking, il vous faudra encore parcourir 700 mètres de chemin à pied, ce qui vous permettra de découvrir progressivement le paysage et le monastère.

Vers 1170, Pierre Isnard, évêque de Toulon et Frédol d’Anduze, évêque de Fréjus, fondèrent un monastère dédié à l’ordre des Chartreux sur un ancien prieuré abandonné qui portait déjà le nom de Notre Dame de la Verne. La première église y fut consacrée le 3 octobre 1174. Bien que les historiens évoquent plusieurs origines possibles pour le nom de Verne, il est vraisemblable, que Verne soit ainsi issu du latin «Vernium » qui désignait un Aulne, cet arbre étant fréquent sur les bords de la rivière coulant au fond de la vallée.

A l’identique, les moines cisterciens utilisèrent le nom de Silvacane pour leur abbaye en faisant référence à Silva pour la forêt environnante et Cana pour les roseaux bordant la rivière Durance. Il était fréquent d’utiliser une référence au site de construction pour nommer les édifices.

L’église et le monastère connurent des aventures assez tumultueuses, jusqu’à aboutir à leur quasi destruction. La première église fut détruite par un incendie puis reconstruite. Grâce à de nombreuses donations la Chartreuse de la Verne devint propriétaire de plus de trois mille hectares de terrains. Elle a été incendiée en 1214, 1271 et 1318, seule l’église romane étant préservée. Le monastère a été pillé par les Seigneurs de Bormes, par les sarrasins, et saccagé par les guerres de religion. Malgré tout, et grâce à l’obstination des Chartreux, le monastère fut reconstruit et étendu jusqu’à la révolution française qui mis tous ses biens sous séquestre. Les moines Chartreux furent chassés en 1792. L’histoire a retenu qu’ayant pu gagner la plage de Saint Clair près du Lavandou, et grâce à une barque de pêche, ils purent atteindre la ville de Nice où ils  trouvèrent refuge à l’évêché.

Les bâtiments étant restés à l’abandon, la nature a repris ses droits et gravement endommagés les bâtiments qui furent aussi pillés.

La chartreuse fut néanmoins classée monument historique en janvier 1921 au titre de « vestiges dans la forêt » ce qui dénote bien de l’état pitoyable des lieux. L’association des Amis de la Verne, aujourd’hui présidée par Michel Baudonnière, fut créée en 1968 et a permis de faire sortir la chartreuse de l’oubli en s’attelant avec beaucoup d’énergie à sa restauration depuis près de cinquante années. Cette association avait aussi pour objectif de voir s’y réinstaller une communauté monastique, ce qui fut fait en 1982 avec trois moines qui ont été remplacés en 1985 par une communauté des sœurs Moniales de Bethléem de l’Assomption de la Vierge de saint Bruno.

Au sud, un long bâtiment regroupe divers édifices. La chapelle de l’Adoration dédiée à saint Bruno et qui était destinée aux laïcs qui pouvaient suivre ainsi les offices religieux. La Porterie qui servait à l’époque de stockage pour les légumes, les fruits… La prison (le monastère avait un  droit de justice sur ses terres), le bâtiment des services et les écuries. A l’ouest nous trouvons la grange qui est une des salles les plus hautes ; très sèche elle permettait de conserver au sec les produits périssables. La boulangerie dont le four à pain a été remis en service en 1970. L’huilerie dont le moulin est le plus ancien du département du Var et le cellier. Au centre du rectangle se trouvent l’hôtel des étrangers, la cuisine, le réfectoire, la salle capitulaire, le petit cloître, l’église, la chapelle romane, la sacristie et la cour est. Au nord a été construit le grand cloître avec en son centre le cimetière et les sépultures des moines sans aucune inscription, et ses douze cellules. L’ancien Maître Autel se trouve aujourd’hui dans la Chartreuse de Montrieux.

La famille monastique de Bethléem de l'Assomption de la Vierge et de saint Bruno qui est présente au monastère de la Verne est une congrégation religieuse contemplative et monastique de droit pontifical. Elle a pris naissance le 1er novembre 1950 au Vatican sur la place Saint-Pierre de Rome à la suite de la promulgation du dogme de l’Assomption de la Vierge Marie par le pape Pie XII selon lequel Marie de Nazareth qui a enfanté Jésus le Fils de Dieu, a été emportée par Lui de la terre au ciel en Son corps et en Son âme. Des pèlerins catholiques dont Sœur Marie Dupont-Caillard, une ancienne dominicaine, y assistent et décident de fonder une nouvelle communauté.

Sœur Marie établit dans une étable la première chapelle, d’où le nom de Bethléem donné à la première communauté. Avec la promulgation du dogme de l’Assomption de la Vierge, les moniales reconnaissent dans la Vierge Marie leur fondatrice et leur prieure. Plus tard les religieuses se confieront à Saint Bruno, le fondateur de l’ordre des Chartreux, pour qu’il les guide dans leur vie spirituelle. En 1986 l’évêque de Grenoble reconnut la famille de Bethléem comme congrégation diocésaine et le Saint-Siège approuva la règle en 1998.

Les membres de la communauté en très grande majorité féminine ont une vie très érémitique. Cette forme d’ascétisme fait qu’elles consacrent leur vie dans une très grande solitude qui les voit prier, étudier, prendre leurs repas et dormir en cellule. Leur journée monastique débute le soir avec les vêpres, puis elles se lèvent la nuit où elles montent une garde sainte et persévérante dans l’attente du retour de Saint Bruno. S’enchaînent ensuite les matines, les laudes et l’eucharistie. Leur vie quotidienne se déroule dans la solitude et dans un grand silence.

Cette famille comprend environ 700 membres dans une trentaine de monastères de moniales et trois monastères de moines. La communauté établie à la Verne compte 26 sœurs dont chacune contribue aux travaux nécessaires au fonctionnement de la communauté. Elle tire ses ressources de la décoration de splendides faïences vendues à la porterie du monastère, avec des objets d’artisanat provenant d’autres communautés. Contrairement aux frères qui ne travaillent que 45 minutes le matin et le soir, les sœurs prient toute la journée en travaillant. La beauté des faïences en vente témoigne de la maîtrise de leur art.

Et maintenant un peu d’histoire. Fondé par Robert de Molesme, l’ordre Cistercien débuta en 1075 avec la fondation de l’abbaye Notre-Dame de Molesme dans la région de Tonnerre. C’est une branche réformée des bénédictins qui joue un rôle essentiel dans l’histoire religieuse du XIIème siècle. Cet ordre promeut ascétisme, rigueur liturgique et érige le travail comme vertu essentielle. Il exercera un rôle majeur dans les domaines économiques, des arts et de la spiritualité.

C’est Robert de Molesme qui conseilla Bruno de Cologne, sa ville natale, son nom étant inconnu, de se rendre, l’été 1084 avec six de ses compagnons, auprès d’Hugues de Châteauneuf, l’évêque de Grenoble qui lui suggéra de s’installer dans au-dessus de la ville dans la solitude du massif de la Chartreuse. J’aurais adoré être présent lors de cette rencontre et porter témoignage du début de deux ordres qui allaient rayonner pendant près de neuf cents ans à travers l’Europe et au-delà. Pour moi cette rencontre n’était pas fortuite, à l’époque les centres de réflexion et de pensées n'étaient pas nombreux, et des personnages aussi rayonnants et charismatiques ne pouvaient que se rencontrer et échanger.

Robert de Molesme suggéra à Bruno de Cologne de s’installer à côté de la ville dans la solitude du massif de la Chartreuse. Avec l’aide de ses compagnons ils construisirent une première église et un monastère avec cloître et cellules où ils vivaient isolés, menant une vie austère en ne se réunissant que pour les offices.

Ce sont eux qui fondèrent ensemble la communauté de la Grande Chartreuse, maison mère de l’ordre cartusien dont les statuts ne furent promulgués et approuvés qu’à la suite du Concile Vatican II, en 1971 et 1973, puis mis en conformité avec le droit canonique en 1983 et approuvés en 1987.

Cet ordre n’a jamais compté plus de 210 implantations depuis sa création en 1084. Aujourd’hui il comporte dix-huit maisons de moines et quatre de moniales réparties sur trois continents, avec trois cent trente cinq religieux. (Allemagne, Argentine, Brésil, Corée du sud, Espagne, Etats-Unis, France, Italie, Portugal, Royaume-Uni, Slovénie, Suisse).

Depuis la fin du XIXème siècle, les moines tirent une partie de leurs revenus de la vente d’une liqueur qui porte leur nom, « La Grande Chartreuse ». Seuls deux moines en connaissent la recette.

Le film « Le grand silence » tourné en 2005 par Philip Groning a été entièrement consacré à la découverte de cet ordre par le grand public. Il montre tous les aspects de leur vie monastique qui a toujours été auréolée de mystère. Afin de s’imprégner de cette vie, le cinéaste a vécu avec les moines pendant six mois. Pour ceux qui auraient la curiosité de le visionner, il dure 2h40, sans aucun dialogue sauf quelques prières, sans musique, seuls quelques chants des moines rompant le silence. Curieusement, c’est un silence assourdissant que j’ai entendu, et qui éclaire de façon très intéressante la vie des moines de cet ordre très fermé.

Pour terminer, lorsque j’avais écrit ma chronique sur l’abbaye de Silvacane, j’avais écrit la concernant « si leur ouvrage a subi des destructions et des outrages, force est de constater qu’il est toujours présent grâce à la foi des hommes et des femmes qui ont compris le message et qui ont œuvré à la restauration de l’abbaye.

Je dois constater que la force du message et son intemporalité est toujours présente à la Verne, et grâce à l’obstination de quelques-uns et au prix de travaux pharaoniques, ce qui n’était plus qu’un lointain souvenir dans la mémoire et le cœur des hommes, a pu à nouveau revenir à la vie.

Tous mes remerciements vont à la Prieure du Monastère, à Fabienne Segard ma guide et à son mari Arnauld, à Yvette et Bernard Nouvel pour leurs conseils et leur aide dans mes recherches, et à Michel Baudonnière le président de l’Association des amis de la Verne.
 

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