Les escapades de Jean-Pierre / L'abbaye de Silvacane
Ce mois-ci notre ami Jean-Pierre nous fait découvrir l'abbaye cistercienne de Silvacane dans les Bouches-dur-Rhône. Suivons le guide.
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L’abbaye de Silvacane est située sur la commune de la Roque d’Anthéron en région Provence-Alpes-Côte d'Azur. Elle est une des trois abbayes cisterciennes de Provence avec Sénanque dans le Vaucluse et Le Thoronet dans le Var. Parmi elles, seule celle de Sénanque accueille encore une communauté de moines.
Ces « trois sœurs provençales » témoignent du rayonnement de l’ordre Cistercien en Provence. Elles sont aussi les seules à avoir conservé un ensemble architectural médiéval.
L’abbaye doit son nom aux marécages à roseaux de la Durance, au bord de laquelle elle a été construite, Silvacane faisant référence à silva « forêt » et cana « roseau ».
Un lien de filiation unit chaque maison fondatrice et son abbaye « fille ». Ainsi Silvacane, construite sous la conduite de l’abbé Orthon, est issue de l’abbaye de Morimond du département de la Haute-Marne, qui est elle-même une des quatre premières filles de l’abbaye de Citeaux, point de départ de la création de l’ordre.
Bernard de Clairvaux, à qui l’ordre doit son développement considérable, aimait les vallées, et le choix du site Cistercien a souvent été déterminé par cette position topographique, dans des vallées boisées qui devaient contenir tous les ingrédients correspondant à la vie monastique de la règle de Saint Benoit touten restant à proximité des axes de circulation, et surtout disposer d’une alimentation en eau importante.
Contrairement à ses deux sœurs provençales et aux habitudes des moines de l’ordre de s’installer dans des lieux reculés en rupture avec le monde, les moines de l’abbaye de Morimond qui sont venus dès 1144 pour édifier leur fille, ont finalement choisi un emplacement qui était situé sur une voie de passage le long de la Durance, près du Château de la Roque, à proximité d’une hostellerie construite au XIème siècle par des moines pontiers, et du bac de Gontard qui permettait de traverser la rivière.
Grâce à l’abbé Orthon qui s’est entendu avec la famille des Baux et aux grands seigneurs de Provence qui ont étendu leur protection sur l’abbaye, ces derniers multiplient les donations de nouvelles terres pour que les moines puissent les mettre en valeur.
Ainsi, en 1175, Bertrand des Baux entrepris la construction de l’église où il demanda à être enterré en compagnie de son épouse. Dès cette époque, l’abbaye suscita de nombreux dons qui lui assurèrent son développement, et lui permis de devenir une force spirituelle et économique majeure dans la région. Cette situation autorisa la construction en 1188 de sa seule « fille », l’abbaye de Valsaintes près d’Apt, en accord avec la famille de Simiane, une des plus anciennes et illustres familles provençales déjà à l’origine de la fondation de l’abbaye de Sénanque.
Les XIIème et XIIIème siècles voient l’abbaye prospérer. Puis, à la fin du XIIIème siècle, dans toute l’Europe les dons et les vocations religieuses se détournent des Cisterciens ; la grande peste puis la guerre de cent ans accélèrent encore plus ce déclin. Les tourments de l’histoire voient l’abbaye être désaffectée en 1742 et transformée en exploitation agricole.
Elle est sauvée in extremis en 1846 lors de son rachat par l’Etat et classée monument historique en 1945. Elle bénéficie alors de campagnes de fouilles et de restauration pour enfin permettre au public de redécouvrir toute la splendeur d’un édifice amoureusement bâtie par les moines Cisterciens.
Grâce aux gardiens de l’abbaye j’ai eu le privilège de visiter des lieux habituellement interdits au public et notamment le clocher. On y accède par un minuscule escalier en pierre, très raide, qui débouche sur un clocher dépourvu de toit. Des baies géminées très élégantes ont été construites, caractéristiques du clocher de Silvacane, alors même que rien dans l’art Cistercien très dépouillé ne justifie une telle élégance. Ce mystère restera à jamais non résolu. Pour ma part, je pense que la devise des Cisterciens « Ora et Labora », « Prie et travaille » et leur architecture particulière et très dépouillée n’a pas empêché à certaines occasions discrètement de transgresser ces règles en laissant la liberté à leur imagination.
J’ai aimé à imaginer la présence en ce lieu de Bertrand des Baux, rempli de fierté de voir le résultat de l’acharnement et du travail de ses moines bâtisseurs.
Je le vois contempler cet horizon millénaire qui a vu les hommes s’efforcer de dominer la nature pour permettre à ce navire destiné à traverser le temps de porter le message des Cisterciens : le respect des vœux d’humilité, de pauvreté, de charité et la foi en le Christ.
Si leur ouvrage a subi des destructions et des outrages, force est de constater qu’il est toujours présent grâce à la foi des hommes et des femmes qui ont compris leur message et qui ont œuvré à la restauration de l’abbaye.
J’ai pu aussi accéder au cloître par l’escalier du dortoir qui n’a hélas pas pu être vraiment restauré, les baies surmontées d’un oculus ayant pour la plupart été détruites. Seule une reconstitution est visible au niveau de la galerie nord..
Comme dans toutes les abbayes Cisterciennes bâties sur le même schéma, on retrouve ainsi la salle capitulaire, ou salle du Chapitre, un dortoir, un chauffoir, un réfectoire et la porterie qui est l’entrée de l’abbaye mais qui n’existe plus aujourd’hui. Les architectes Cisterciens ont respecté les directives de Bernard de Clairvaux, et les plans ont bien été bâtis sur des considérations fonctionnelles liées aux aménagements hydrauliques, à la lumière et aux matériaux disponibles dans la région.
Le chauffoir a été magnifiquement restauré, et permet au public d’admirer les colonnes très ouvragées.
L’éducation des novices, la copie des manuscrits qui était la seule façon de diffuser les livres avant l’introduction de l’imprimerie ainsi que les travaux de couture, étaient réalisés dans cette pièce qui était la seule à posséder une cheminée et à être ainsi chauffée.
Depuis 2008 l’abbaye est passée sous la gestion de la Commune, ce qui a permis de développer une activité culturelle et artistique. Elle accueille ainsi des artistes contemporains pour des expositions, des concerts de musique classique, sacrée, du jazz…
Je vous invite à vous rendre sur place visiter ce joyau de l’architecture Cistercienne qui plus est servi par une acoustique remarquable.
Bonne découverte.